Comme l'ensemble des tribunaux administratifs créés par le décret du 30 septembre 1953, le Tribunal administratif de Limoges a été installé le 1er janvier 1954. Ses débuts ont été discrets voire funestes. Le premier événement notable dont font état les archives est en effet le décès, dans les tout derniers jours de l'année 1953, du président nommé à la tête du Tribunal administratif, le Président OLIVIERI. Son successeur, le Président BORNECQUE, désigné en février 1954, a été en fait, le premier des 14 présidents qui se sont à ce jour succédés à la tête de cette juridiction.
La création du Tribunal est plutôt apparu localement comme un non-événement. Nulle part n'apparaît la trace d'une particulière publicité donnée à son installation. Cette discrétion s'est également attachée à la tenue des premières audiences. Nulle solennité n'y a été donnée, bien au contraire. Elles ont d'abord eu lieu sous forme de deux audiences de conseiller-délégué (ancêtre du juge unique) au cours desquelles 11 affaires ont été appelées, donnant lieu à 3 désistements, 1 non-lieu et 7 rejets pour irrecevabilité de requêtes fiscales. Le comble de la discrétion est que certaines de ces affaires ont été examinées selon la procédure de l'audience non publique, alors en vigueur pour certains types d'impôts. On aurait certainement pu faire mieux pour donner quelque lustre à l'installation d'une nouvelle juridiction, au surplus dotée de compétences tout à fait nouvelles.
La première audience collégiale, le 24 février 1954, a donné lieu à l'examen de 14 affaires : 6 relatives aux contributions directes, ont été rejetées; 2 concernant des fonctionnaires ont abouti à 2 désistements ; 1 relative à une demande d'autorisation de plaider au nom de la commune de CLERGOUX, a été rejetée ; les 5 dernières concernaient des dommages de travaux publics : 3 ont donné lieu à une expertise, 1 a été rejetée au fond, 1 enfin, a abouti à la condamnation d 'E.D.F. à payer une rente annuelle et viagère de 40 000 francs en réparation du préjudice subi par une demoiselle MARECHAL, victime d'un accident. Au delà de cette évocation qui traduit une mise en place quelque peu chaotique et en tout cas très discrète de l'institution, l'examen des archives paraît démontrer que, pendant 50 ans, l'activité du Tribunal administratif de LIMOGES a reflété, à la taille de la juridiction, l'évolution générale qui fut celle des tribunaux administratifs pendant la période. L'étude des rapports annuels des présidents de la juridiction montre bien que, les préoccupations liées à la nécessité d'un statut, de compétences renforcées et de moyens furent constamment présentes.
Il paraît intéressant de noter que, pour plusieurs présidents dans les années 1960-1970, la question du statut du tribunal administratif, ou en tout cas, de sa place dans la cité était indissolublement liée au problème de son installation. Plusieurs présidents soulignaient ainsi que l'image d'indépendance du juge administratif passait nécessairement par l'installation du tribunal administratif dans des locaux distincts de ceux de la préfecture. Ainsi en 1963, le Président WIRTZ écrivait-il :
"Enfin, qu'il me soit permis de souligner que les trois tribunaux administratifs voisins de POITIERS, de CLERMONT-FERRAND et de BORDEAUX occupent des immeubles entièrement séparés des bâtiments de la Préfecture et bénéficient d'une implantation sinon plus commode, du moins d'une installation intérieure infiniment plus honorable. Cette séparation si elle confère, aux yeux du public au moins, une indépendance de principe et souhaitable de la juridiction administrative vis-à-vis de la puissance publique, n'entraîne d'ailleurs, contrairement à ce qu'on pourrait croire, aucune désaffection à l'égard du Tribunal administratif de la part des autorités préfectorales locales. Je suis en mesure d'avancer que le Tribunal administratif de LIMOGES est sans raison ou pour d'obscures raisons qui ne m'apparaissent plus comme pertinentes, très certainement l'un de ceux qui est le moins bien installé, le moins bien meublé, le moins bien outillé et sur place, par une conséquence toute naturelle, le moins bien considéré... Nous croyons que si la Juridiction était installée dans un hôtel particulier ou dans un immeuble réellement à l'extérieur de la Préfecture, comme à BORDEAUX, à CLERMONT-FERRAND ou à POITIERS, nos voisins, le nombre des affaires portées devant nous serait bien plus considérable, le grand public persistant à penser, malgré nos efforts pour l'en dissuader, que le Tribunal fait corps avec l'Administration et se montre peu enclin à donner tort à celle-ci".
Si l'indépendance du Tribunal administratif ne devait être jugée qu'à l'aune de son logement, celleci
n'aurait été acquise qu'en 1985, date d'emménagement du Tribunal administratif de LIMOGES dans ses actuels locaux, distincts de ceux de la préfecture. Mais il convient d'admettre que cette indépendance, notamment aux yeux des justiciables et de leurs conseils était acquise depuis bien longtemps et que, rétrospectivement la corrélation, faite il y a une quarantaine d'année entre les flux contentieux et la localisation du Tribunal administratif était certainement exagérée.
En réalité, la meilleure preuve d'indépendance de la juridiction a sans doute été, au fil des ans, la qualité des ses décisions et surtout son aptitude à intervenir le plus efficacement possible, en vertu des pouvoirs qui lui ont été donnés et des procédures dont elle a pu disposer. A cet égard, l'immersion dans le contentieux des années 1954 et suivantes est particulièrement révélatrice. Le contentieux alors traité par le Tribunal (comme sans doute par tous les tribunaux administratifs de l'époque), n'a que peu de ressemblances avec celui traité aujourd'hui et le lien avec le contentieuxtype des conseils de préfecture a eu quelques difficultés à se distendre, ainsi qu'en témoigne la nature des affaires inscrites aux premières audiences de 1954, évoquées ci dessus. Ce type de rôle a longtemps constitué le menu hebdomadaire de la juridiction, fait de requêtes en matière de dommages de travaux publics, de contentieux fiscal, de pensions ou de contentieux aujourd'hui très marginaux comme celui très important alors, de contentieux en matière d'immeubles menaçant ruine. Ce n'est en fait que très progressivement que des requêtes en excès de pouvoir (au sens donné aujourd'hui à cette expression) ont commencé à être enregistrées et jugées au Tribunal et il faut en réalité, attendre le milieu de la décennie 1960 pour que le nombre de dossiers de recours pour excès de pouvoir soit significatif, d'ailleurs en grande partie grâce au contentieux du remembrement rural. Il faudra attendre l'audience du 15 juin 1954 pour que le Tribunal examine ses premières affaires de recours pour excès de pouvoir, le 24 juin 1954 pour qu'il prononce ses premières annulations en la matière (une délibération du conseil municipal de LUBERSAC et deux arrêtés du maire de la même commune) et le 26 octobre 1954 pour qu'il annule une décision prise au nom de l'Etat (en l'occurrence un arrêté du Ministre de l'éducation nationale).
Deux caractéristiques paraissent marquer le contentieux des premières années d'existence du Tribunal :
- Le faible nombre, chaque année, de jugements définitifs : jusqu'au début des années 70, 20 à 25% des jugements sont des jugements avant-dire droit dans lesquels le Tribunal ordonne unsupplément d'instruction ou une expertise.
- L'absence presque totale de prise en compte de l'urgence (au sens procédural moderne du terme), notamment en l'absence d'outils procéduraux efficaces, notamment de réelles procédures de référé.
Ainsi la procédure du sursis à exécution, handicapée par les difficultés à la mettre en oeuvre et par les restrictions mises à son usage par le décret de 1953 fut-elle extrêmement longue à trouver une concrétisation devant le Tribunal. Pendant 10 ans (de 1954 à 1964), les états statistiques relative aux décisions rendues en matière de sursis à exécution se bornent à des chiffres oscillant entre 0 et 3. A titre d'exemple, la première requête sollicitant un sursis n'a été enregistrée que le 4 juin 1956 et a d'ailleurs donné lieu à un désistement. Le premier jugement dans lequel le Tribunal s'est prononcé sur une telle demande pour la rejeter est du 30 janvier 1959 (remembrement de MEYMAC). C'est seulement le 4 avril 1962 que le Tribunal administratif a admis pour la première fois que les conditions d'octroi d'un sursis à exécution étaient réunies (sursis d'une décision de refus d'exercer la profession d'opticien-lunettier). Ces quelques chiffres montrent que, comme tous les tribunaux administratifs, le Tribunal administratif de LIMOGES fut longtemps atteint d'une certaine timidité procédurale et souffrit du manque de moyens contentieux . En revanche, il fut sans doute plus que d'autres, victime d'un manque de moyens en effectifs dont les divers présidents ne cessèrent au fil de leur rapports, de se plaindre et qui, à bien des égards, eut parfois des répercussions fâcheuses sur le nombre de décisions rendues et, portant, sur les délais de jugement.
A cet égard, la lecture du premier rapport d'activités du Tribunal administratif de LIMOGES est particulièrement édifiant. On y apprend, en effet, que, dès sa première séance, le TA de LIMOGES était incomplet et qu'il dut à plusieurs reprises avoir recours à un avocat du barreau du siège ou, plus exceptionnellement à un conseiller d'un tribunal administratif voisin. Cette situation
de fragilité perdura jusqu'en 1982, date à partir de laquelle seulement le TA connut une situation stable, avec en permanence l'effectif permettant de constituer au moins une formation de jugement. En revanche, entre 1954 et 1982, la situation a été particulièrement difficile. A quatre reprises, TA fut tout simplement privé de Président, et dans trois cas pour au moins une année (60-61, 64-65 et 75-76). Dès 1957, le Président du Tribunal fait état des difficultés pour les membres du barreau à venir compléter le Tribunal en raison de leurs autres obligations et l'un de ses successeurs s'émeut de"l'image de marque" donnée aux justiciables d'une juridiction où alternativement le même avocat soit fait partie du Tribunal soit représente une partie devant celuici. Mais il faut aussi préciser que le recours à un avocat, toujours choisi en raison de sa compétence avérée en droit public, pour compléter le Tribunal était la solution la plus envisageable. En effet, de nombreux rapports insistent sur la difficulté pour le Tribunal de pouvoir disposer d'un collègue d'un tribunal voisin, en raison souvent des vacances affectant les autres tribunaux administratifs (on apprend aussi qu'au cours d'une même année judiciaire, le TA de LIMOGES avait "dépanné" à 11 reprises le TA de CLERMONT-FERRAND). Et déjà en 1957, le Président du Tribunal s'inquiétait des difficultés des transports routiers et ferroviaires avec les villes les plus proches sièges d'un tribunal administratif (POITIERS et CLERMONT-FERRAND)!
Pourtant, lors des premières années de fonctionnement du Tribunal, les présidents n'ont pas systématiquement lié les problèmes d'effectifs au rendement statistique de la juridiction et à la durée de jugement des affaires, notamment parce que, dans les années 50 et 60, le nombre d'affaires enregistrées était relativement faible et donc tout à fait à la portée d'une formation unique de jugement, même parfois incomplète. Il est heureux que l'augmentation du nombre de magistrats ait réellement coïncidé avec l'inflation contentieuse qu'ont connue les juridictions administratives, à partir des années 80 et notamment lorsque leur champ d'intervention et leurs pouvoirs se sont accrus.
C'est seulement à partir de 1985 que le Tribunal de LIMOGES s'est vu doté, de manière pérenne, d'un effectif supérieur à celui d'une formation de jugement, à partir de 1996 que l'effectif a permis de faire fonctionner une deuxième Chambre de fait, et à partir du 1er septembre 2000 que, par la création d'un deuxième poste de Président occupant les fonctions de Vice-Président, a été mise en place officiellement une deuxième Chambre. Enfin, au 1er janvier 2003, a été créé un 9ème poste de
magistrat. L'augmentation des moyens dont a heureusement bénéficié le Tribunal pendant 50 ans a largement correspondu à une demande contentieuse toujours plus importante.
Depuis sa création , 3 périodes peuvent être distinguées :
- Pendant une vingtaine d'années (1955 à 1978 environ) : une période de stabilité contentieuse, les affaires enregistrées et les jugements rendus oscillant entre 250 et 300.
- Au cours des années 80 et du début des années 90, une montée en puissance lente mais continue des affaires enregistrées et des jugements rendus, correspondant à la période pendant laquelle de nouveaux types de contentieux sont nés (issus par exemple, de la décentralisation, du domaine de l'urbanisme ou de l'environnement ) et à la période d'une reconnaissance statutaire plus affirmée de la juridiction administrative. Ainsi le nombre d'affaires enregistrées a-t-il constamment dépassé 500 après 1985 et 1 000 à partir de 1992, le nombre de jugements rendus doublant pendant la même période, pour passer d'environ 400 en 1981 à plus de 800 dix ans plus ,tard.
- La dernière période, de 1995 à aujourd'hui, correspond à une pleine "maturité de la juridiction" qui a du faire face à un afflux, irrégulier selon les années mais constant, du nombre de requêtes, pour atteindre en 2005, un niveau de 1700 affaires enregistrées et de 1550 affaires jugées. Il convient en outre de noter que, depuis l'entrée en vigueur le 1er janvier 2001 des
nouvelles procédures d'urgence, le Tribunal est conduit à traiter régulièrement et donc rapidement, plus de 100 affaires de ce type chaque année. Enfin, le justiciable étant normalement attentif à la durée des instances contentieuses, l'examen de 50 ans d'activités du Tribunal montre que le délai moyen de jugement qui n'avait fait que s'accroître entre 1980 et 1995, atteignant presque 3 ans en 1994, connaît désormais une baisse lente, mais continue, avec un gain d'environ 1 mois par an depuis 1998 pour s‘approcher aujourd'hui d'1an 4 mois.
Installé à l'origine dans l'Hôtel du Département, lui même logé dans l'enceinte des bâtiments de la préfecture, le Tribunal administratif de Limoges a été transféré en novembre 1985 au 1 cours Vergniaud, face au Champ de Juillet et à la gare des Bénédictins, dans un ancien Hôtel particulier de la fin du XIXème siècle, ayant appartenu à un ambassadeur de France.
L'immeuble acheté par le Département en avril 1984, a été restauré, puis mis à la disposition du tribunal par convention du 23 juillet 1985, l'Etat prenant en charge le remboursement des annuités de l'emprunt contracté pour l'acquisition et les travaux.L'intérieur de l'immeuble d'une superficie d'environ 600m² a été presque entièrement restauré sous la maîtrise d'ouvrage du Conseil d'Etat à la suite d'un attentat perpétré le 27 novembre 1996 contre la juridiction.
Le déclenchement d'une charge explosive déposée devant la porte d'entrée du tribunal et commandée à distance a très sérieusement endommagé l'ensemble des locaux. Ceux-ci ont cependant pu être rénovés en permettant de redonner au tribunal sa décoration intérieure d'origine.
La recherche d'une décoration intérieure soignée n'exclut pas une adéquation avec la nécessité de disposer de locaux fonctionnels.